Chaque année comme les hirondelles au Printemps la gestion des talents revient sur le devant de la scène. Mais tout comme les hirondelles reviennent à leur nid, ce thème récurrent revient s’enliser dans les mêmes ornières.
Une étude récente de l’ANDRH sur la gestion des Talents met en exergue deux données importantes pour comprendre ce hiatus permanent entre discours et réalité.
L’importance accordée aux talents dans le discours de l’entreprise et la place qui leur est accordée dans la gestion quotidienne.
Selon l’étude, 63% des dirigeants considèrent que la gestion des talents est critique pour leur performance. On ne peut que se réjouir de cette lucidité mais 62% d’entre eux passent moins de 5 jours par an sur la gestion des talents soit moins de 2% de leur activité et parmi eux presque 20% quelques heures seulement… Et encore, sous le vocable générique de gestion des talents on retrouvera des activités aussi variées que la gestion de la performance, du recrutement, de la mobilité, les plans de succession, le développement et la formation… Cherchez l’erreur.
Alors bien sûr on s’interroge sur les freins à la gestion des talents. Ceux évoqués par les personnes interviewées sont le manque de moyens, de budgets et de ressources pour s’occuper de cette question. Certes ces arguments sont valides. Sans moyens on ne peut pas faire grand-chose pour s’occuper des talents de l’organisation, ces hauts potentiels que l’entreprise veut garder et éviter de voir partir à la concurrence. Mais s’occuper de talents est finalement dramatiquement simple. En théorie il s’agit d’identifier, de développer et de former ces talents. Leur donner de l’importance, faire attention à eux pour les faire rester dans l’entreprise. En pratique cependant c’est sans doute un peu plus compliqué que cela.
En fait cela requiert un effort de management très particulier. C’est le rôle principal d’un manager de développer les talents comme disait Jack Welch, et développer les talents n’est pas une tâche parmi d’autres, un processus récurrent auquel il faut se conformer. Non il n’est pas suffisant de mener un entretien de performance ou bien de signer une demande de formation. La gestion et le développement des talents est une tâche permanente du manager. Cette tâche requiert sa mobilisation au jour le jour. Elle requiert surtout deux éléments qui expliquent peut-être pourquoi c’est si difficile.
- La gestion des talents nécessite la différenciation d’un individu par rapport à un autre. Cette différenciation est potentiellement porteuse de problème pour le manager qui va devoir assumer ses choix vis-à-vis de ses autres collaborateurs qui n’ont pas été choisis ce qui ne manquera pas de créer de la rancœur, des jalousies et donc de la déstabilisation dans son équipe. Et personne n’aime ça. Donc le manager aura tendance à ne pas le faire.
- La gestion des talents requiert également que le manager en parle avec son collaborateur, qu’il discute développement avec lui, qu’il le mette sous tension, qu’il le coach. Il devra le mettre en visibilité et faire remonter à ses supérieurs et à la direction des ressources humaines ses évaluations et les motifs de ses choix, en expliquer les raisons. C’est inconfortable à plusieurs titres. Il prend le risque de voir cette ressource promue hors de son département. Il prend également le risque de ne pas être suivi par sa hiérarchie et d’être obligé de l’expliquer à son collaborateur qui prendra alors peut-être la décision de quitter l’entreprise.Donc il aura tendance à ne pas le faire.
On le voit ce n’est finalement pas si simple. Développer des talents c’est prendre des risques, se mettre en danger et dans l’inconfort. Aussi peut-être faudrait-il développer les managers sur la gestion des talents, les aider à gérer ces ambivalences et à remettre l’homme au cœur de ces démarches alors qu’aujourd’hui le développement des talents reste bien souvent essentiellement une mécanique « corporate » axée sur des politiques et des outils savamment décris sur des documents powerpoint.