Nous vivons dans un monde où la réalité s’efface derrière les modes et les slogans des discours managériaux destinés aux marchés et aux actionnaires. Si l’on écoute les « grands leaders » de nos organisations, bien souvent leurs entreprises sont remplies de personnes hyper motivées, performantes et engagées dans la trépidante course à la performance globale, portées par des « valeurs partagées » bien ancrées et nourries par l’ardent désir de faire réussir leur entreprise pour en faire la première du marché. Oh certes loin de moi l’idée de nier l’existence de telles sociétés mais parfois l’histoire se fait différente. Laissez-moi vous conter celle-ci.
Elle démarre naturellement par l’arrivée d’un nouveau CEO chargé par le Conseil d’Administration de redresser une situation difficile. Un changement profond s’impose et doit être conduit rapidement. La culture de l’entreprise doit se transformer et l’organisation se revitaliser. Notre CEO prend appuis sur une équipe renouvelée, essentiellement venue de l’extérieur qui déploie le plan avec conviction et détermination. L’organisation dans sa grande majorité répond positivement à cette dynamique nouvelle mais l’entreprise abrite en son sein une communauté sociale issue d’une autre époque de son évolution. Ce groupe travaille sur des produits dont la technologie est devenue moins porteuse. Nourri d’autres valeurs, plus âgé que la moyenne son engagement dans le sursaut nécessaire à la survie de l’ensemble est très faible. Une succession de plans sociaux a clairsemé ses rangs et chacun est replié sur des réflexes de survie qui visent davantage à durer sans faire de bruit qu’à s’engager dans l’action. L’équipe ressources humaines qui gère cette communauté est elle-même profondément démobilisée. Composée pour l’essentiel d’anciens représentants du personnel, elle demeure fortement syndicalisée et son adhésion à la nouvelle stratégie est très réduite.
Le DRH nouvellement promu pour s’occuper de cette entité de taille importante est confronté à cette situation inhabituelle. Ce pourrait être vous. Que feriez-vous ? Lui est animé par une vraie croyance dans l’homme et par un réel désir de voir ces êtres humains reprendre le contrôle de leur existence et se remettre en mouvement. Son objectif n’est pas de transformer ces collaborateurs en « performeurs » hors classe au profit de l’entreprise mais de développer leur autonomie et leur désir de réalisation personnelle. Créer une telle dynamique individuelle aura de toute manière un retour bénéfique pour l’entreprise dans une sorte de jeu de billard à trois bandes. Le pari c’est que la somme des énergies ainsi mobilisées régénérera l’organisation et la placera dans un cycle vertueux où chacun sera mobilisé sur des objectifs personnels qui pour certains auront des adhérences fortes avec la stratégie de l’entreprise mais qui pour d’autres les conduiront sur la voie d’une réalisation à l’extérieure de l’entreprise. Incompris du management qui ne voit pas d’intérêt à engager des investissements dans un programme de ce type alors que l’on pourrait faire un plan social, il engage son équipe dans la construction d’un parcours d’accompagnement et de développement personnel qui prend appuis sur les travaux de Bob Aubrey¹ et aidera les participants de ce parcours àdevenir des entrepreneurs d’eux-mêmes dans cette nouvelle donne qui modifie profondément le rapport salarial classique et rend obligatoire la prise d’autonomie et la valorisation de l’activité humaine dans une prise de risque assumée.
Ce fût un succès avec pas loin de cent personnes sur deux ans ayant tenté l’aventure d’une démarche qui leur a donné la possibilité de reconstruire une autonomie perdue en construisant avec l’entreprise une relation différente, renouvelée et plus équilibrée.
Comment notre DRH est-il parvenu à donner vie à cette démarche dans un environnement intrigué voire hostile qui considérait que l’entreprise n’avait pas vocation à s’intéresser au développement personnel de ses collaborateurs. L’heure du coaching professionnel n’avait en effet pas encore sonné en France.
A bien y réfléchir, pour réussir un pari de cette sorte et imposer une vision différente à son environnement il faut une révolte intérieure, un refus de l’inacceptable et une capacité de rébellion contre l’ordre établi. Il faut également des valeurs fortes qui transcendent la production de valeur pour l’entreprise. Être prêt à tout mais pas à n’importe quel prix. Avoir des certitudes et reconnaître ce qui est vrai, beau et juste sans avoir à y réfléchir trop longtemps tellement c’est évident. Il faut un but et s’y tenir et ne pas hésiter à agir pour transformer l’ère de jeu. Sortir du cadre et ne pas seulement rechercher les résultats immédiats dans l’environnement existant. Et puis enfin il faut de l’émotion et de la sincérité comme en amour.
¹Bob Aubrey « l’Entreprise de Soi » Flammarion.